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Abolir le temps
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1 août 2019

"Le Lambeau" de Lançon

L'un des morceaux du puzzle qui a abouti à l'ouverture de ce blog est le livre de Philippe Lançon, Le Lambeau, paru chez Gallimard en 2018. Je l'avais offert à une amie très proche, en ayant envie de le lire aussi. Mais je redoutais de l'affronter : Lançon est l'un des rares survivants de l'attentat de Charlie hebdo du 7 janvier.

Lambeau Lançon

Ce pavé de cinq cents pages environ s'attaque non par la face nord, par une pente assez douce, pour ensuite nous emmener sur des chemins plus ardus. La façon qu'a Lançon de traiter les événements pour ce qu'ils sont, des événements, donc, permet de ressentir d'autant plus fort leur violence. Gravement blessé à la mâchoire et aux bras, il raconte ce chemin dont il n'a certainement pas encore vu le bout.

Mais ce qui m'a particulièrement bouleversée, c'est le traitement du temps dans ce livre : le temps d'avant le 7 janvier, et celui d'après, en pure construction, comme le visage de Lançon. Ce dernier parle d'un être qui a vécu et été d'une certaine façon jusqu'à l'attentat, et de celui qui est à la fois tout à fait le même et tout à fait un autre (merci Verlaine) ensuite. D'ailleurs, Lançon parle de "temps suspendu", arrêté. L'écoulement des jours, rythmé par les opérations, les anesthésies, la rééducation ensuite, est rendu au plus près par l'écriture.

En outre, j'ai reconnu en cet auteur une manière d'affronter les difficultés qui m'est proche : rechercher dans la beauté des arts, des mots, ce souffle de vie qui nous échappe parfois. Ainsi sont convoqués au fil des pages Bach, Vélasquez, Proust, Kafka, Verlaine et tant d'autres... Suite à cette lecture, j'ai eu envie de me plonger dans la Recherche et j'ai entamé hier le tome 1, Du Coté de chez Swann. Il y a des livres que l'on peut relire jusqu'à plus soif. Celui-ci en fait partie.

Enfin, j'ai apprécié les petites saillies de Lançon, ce recul salutaire sur les êtres et les situations. Sa description du monde des hôpitaux est particulièrement juste et son regard, terriblement humain.

On ne sort pas indemne de cette lecture, je crois. Et c'est bien pour cela qu'elle est essentielle. Comme disait Kafka, on ne devrait lire que des livres qui nous piquent, nous brûlent et brisent à coup de hache la mer gelée en nous...

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