Sally Mann, la révélation

En guise d'autre morceau du puzzle qui m'a menée jusqu'ici, il y a la photographe Sally Mann, exposée au Jeu de Paume. Pour être honnête, je ne la connaissais pas. Originaire de Virginie, élevée dans un lieu chargé d'histoire et de violence (esclavage, ségrégation, guerre de Sécession...), Sally Mann cherche les traces de ce passé douloureux à travers ses images.

Par périodes, elle représente le temps qui passe, qui tente d'effacer les traces, en vain bien souvent. Mann a pris tout d'abord en photo ses enfants, au naturel ou dans des scénarii plus ou moins préparés : ceux-ci incarnent l'innocence, la beauté qui s'ignore, la jeunesse sauvage... Puis il y a une salle consacrée aux arbres, à la forêt, dans laquelle de nombreux esclaves sont morts en tentant de s'échapper ou encore des soldats ont été terrassés dans des bains de sang.

Expérimentant une technique propre au XIXème siècle (la plaque de gélatine), les images de Sally Mann laissent une part au hasard par la grâce de la chimie et de ses réactions. L'une des plus belles selon moi est celle du buste de son mari, comparé à Héphaïstos, alors qu'il est atteint d'une dystrophie altérant peu à peu son corps. Les images se révèlent, dans tous les sens du terme.

Enfin, il y a Virginia, la servante noire qui est bien plus qu'une servante, une seconde mère, celle qui porte le nom de cet état ségrégationniste, et dont le nom est aussi celui de l'une des filles de Sally Mann. A travers elle et son corps usé, fatigué, Mann dresse le portrait touchant de ces noirs à la fois invisibles et si présents dans cette histoire américaine. Mann raconte qu'elle a pris conscience tardivement de ces différences de traitement entre blancs et noirs. Par Virginia, elle rend hommage à ceux qu'elle n'a jamais vus comme différents. Le très beau portrait des deux Virginia, entre jeunesse et vieillesse, en est une magnifique preuve, si besoin est.

Je pourrais continuer ainsi et parler des portraits de ses enfants alors jeunes adultes, en très gros plan (cf. instagram) ou des modèles noirs qui ressemblent à des fantômes en ombres chinoises. Mais il faut aussi vous laisser une part d'imaginaire et de curiosité...

Au sortir de cette exposition, quelque chose a remué en moi, tel un écho. Ou plutôt une résonance. J'arrivai à la fois au bout d'un cheminement et au début d'une route. C'est là que s'est cristallisée l'idée d'ouvrir ce blog. J'ai pris mon carnet, un stylo, et me suis assise sur l'une de ces chaises en fer jolies mais inconfortables du jardin des Tuileries. J'ai noté fiévreusement des idées, des pistes, souvent confuses car cette route n'est pas nettement tracée devant moi. Mais une chose est parfaitement claire pour moi : la photographie reste ma plus belle porte vers ce qui est une lutte incessante contre le temps qui passe.

Fixer l'instant de beauté n'est pas offert à tout le monde. Et l'on comprend pourquoi pendant longtemps la photographie a fait si peur aux hommes : elle capte l'essence des êtres et des choses, mystérieusement.